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Voyages_Voyages

5 février 2020

Dernier jour

Pourquoi les derniers jours sont-ils toujours difficiles ? Bien sûr il y a mon âge, il y a que mes amis vieillissent comme moi et que je ne suis sûr ni de revenir à Lorient ni de revoir mes amis Jappé. Plus de cinquante ans d’amitié qui ne se sont jamais démentis, plus de cinquante ans de partage de la peinture de Jean-Paul même si, je dois l’avouer, sa période que j’ai préférée, celle dont j’ai de nombreux tableaux dans mes appartements, est celle si sensible, les acryliques des années quatre vingt dans lesquels il a su me faire voir les paysages et surtout les lumières bretonnes. Son choix a été d’abandonner, de se tourner vers une peinture totalement figurative mins tendue qui, dfit-il, l’épuise moins psychiquement. Pourtant il a, dans certains de ses tableaux, comme ceux de Keroman, de la base sous-marine ou de certains commerces (j’aime beaucoup son “bistro du port” de Lomener) établi une certaine distance par rapport au réel, un peu comme Hopper ou Morandini, mais à sa manière propre, trouvé dans une forme aboutie de figement de la réalité une ouverture sur quelque chose d’autre, un certain mystère presque métaphysique. Je quitte donc Lorient avec un certain regret d’autant que si je reste fidèle à mes “règles” et, en général, j’ai  sur ces points l’esprit assez rationnel et systématique, certains diraient algorythmiques tant je suis fidèle à ce que j’appelle mes petits rituels qui me donnent un début de colonne vertébrale. D’autant donc que je n’y reviendrai plus jamais, du moins sur une aussi longue période ce qui explique certainement cette espèce de nostalgie douce qui m’a suivie tout le jour. Mais il y a tant de lieux des plus riches aux plus pauvres dont j’ai envie de m’emparer totalement en y émergeant ma mélancolie, la mélancolie ineffaçable des absences, pour un temps assez long ! Aujourd’hui donc, machinalement presque, j’ai fait le tour de la ville pour n’en rien oublier : comme chaque matin je suis allé aux halles pour m’acheter des crèpes fraîches et boire le meilleur café que j’ai trouvé ici, je suis allé acheter mes journaux avec le jeu qui m’amuse et qui amuse aussi la marchande nous rendant d’une certaine façon, dix secondes complices — mais l’espèce d’agoraphobie que je traîne m’a toujours fait craindre les longs contacts humains —, à ne jamais savoir à l’avance s’il y aura à la fois Le Monde et Libération, ou aucun, ou l’un ou l’autre aléatoirement, puis je me suis installé au “Relax” le café où, tous les matins je parcours les journaux régionaux y glanant parfois une nouvelle avant de me lancer dans des marches que je ne décide toujours qu’au dernier moment. Ces rituels, comme celui des nombreuses variantes de piscines, se répètent ainsi un peu de ville en ville avec cependant des variantes qui me sont imposées : pas de journaux ni de café habituel à Stockholm; pas de journaux à Vienne et les cafés que je fréquentais étaient des cafés plutôt bourgeois; un petit café à Rome, et les journaux à la Gare Centrale, mais aussi la nécessité de prendre tous les matins le tram car la banlieue où j’étais, Centocelle, était quand même très éloignée des rues de Rome; pas de café proche sympathique non plus à Séville ou à Madrid et je devais marcher un moment pour en trouver un qui me convenait; etc. Un pauvre tourisme pauvre sans doute mais un tourisme à ma mesure qui ne m’interdisait pas d’aller passer une après-midi au Prado ou au Kunsthistorisches Museum de Vienne même si ce n’était en rien le but essentiel de mes voyages tant les musées me fatiguent et mixent dans mon souvenir les myriades d’œuvres qui y sont présentées.Je vais, je marche, je m’approprie l’espace de la ville… J’ai toujours rêvé de me fondre anonyme, comme un caméléon dans les lieux où je m’installe. Puis je m’en vais. Comme le refus absolu d’une quelconque idée d’installation.

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4 février 2020

Le bonheur

De quoi dépend le bonheur ? Aujourd’hui, le temps était somprueux, gorgeous comme diraient les anglais, adjectif que j’adore d’une part parce que sa sonorité est plus charnelle que celle de son équivalent français, d’autre part parce qu’il me rappelle l’exclamation d’un ami compositeur américain lorsqu’il découvrit la bague 1930 en or et grenat que portait alors ma femme. Bref… difficile de résister à ce soleil qui magnifiait le paysage. Donc, la mer. Lomener et, à pied, Lomener-Larmor, quatre petits kilomètres sur des chemins en grande partie côtiers, bien aménagés, même s’il fallait de ci de là se mouiller les pieds et que, comme d’habitude, je n’avais pas emporté dans ma valise de chaussures de marche.

Comme je l’ai déjà écrit dans une page précédente, ce fut cependant une grande déception. On aurait dit un parcours de santé envahi de couples âgés comme moi. Beaucoup de couples de femmes d’ailleurs qui marchaient en papotant. L’impression d’être entraîné dans une marche organisée par un EHPAD des environs. Rien à voir avec mes marches en forêt de Fontainbebleau moins fréquentée et surtout avec de très nombreux sentiers qui permettent de toujours improviser, au risque mesuré de se perdre, de nouveaux parcours et dont la végétation isole.

Le paysage océanique est, bien sûr, toujours aussi spectaculaire mais me manquait la solitude. Après leur marche hygiénique — ne voyez aucune ironie dans ce qualifiant car je sais aussi la nécessité, à cet âge, d’entretenir ses muscles et ses articulations — une grande partie de ces sportifs se retrouvent au Kasino (breton oblige) de Larmor-plage devant des dizaines de machines à sous où ils vont, des heures durant, renforcer leur index en appuyant sur divers boutons pour dépenser leur investissement de 5 ou 10 euros dans l’espoir de gagner une fortune relative. Je suis rentré.

Ce soir je vais encore avec Jean-Paul Jappé fréquenter un des bars à travailleurs de la mer dont il a le secret et manger du poisson.

30 janvier 2020

Réflexion sur le roman le long du Scorff

Ce matin, la ville s’est éveillée enveloppée, comme par un plaid grisâtre, dans une brume d’eau qui, par moments, se liquéfiait en un agréable spray tonique aux odeurs d’iode et d’algues. Un jour piscine. Pourtant je n’en avais pas envie. J’avais encore envie de marcher. Ce que j’ai fait deux bonnes heures en choisissant la rive gauche du Scorff, Lannester, Lorient étant sur la rive droite. Non qu’il y ait une grande différence de paysage entre les deux mais parce que j’avais déjà longé la rive droite et qu’en plus, même si la brume ouate tous les sons, il y a moins de voitures ; enfin, c’est du côté de Lannester que sont les anciens parcs à bois de la compagnie française pour les Indes orientales, celle qui a donné son nom à Lorient. Rien de spectaculaire, mais un morceau de rappel d’histoire, ce qui m’est toujours agréable. J’ai donc marché deux bonnes heures, ma parka, dont j’apprécie la qualité, étant de plus en plus trempée, pendant lesquelles, par intermittences, comme d’habitude, au milieu des pensées les plus diverses, je ne cessais de revenir à ce que, il y a quelques jours j’ai écrit sur le roman, notamment réexaminant Proust, qui à la fois m’agace et me fascine, dans cette perspective.

La plupart des romans inventent le temps, la flèche du temps, parfois à l’extrème comme le roman policier qui, sous diverses formes, remplit aujourd’hui les rayons des librairies. Comme si la vie humaine était toute entière condensée dans ce temps fictif, présenté comme universel et rationnel. Comme si la vie n’était pas en fait une série d’événements totalement aléatoires. Le roman, dans ses formes les plus classiques, tend à présenter nos vies comme rationnelles, en ce sens, qu’il y a toujours un avant et un après et qe les deux se construisent suivant une logique, certes propre à chacun des romans différents, mais toujours logique. Peu y échappent. Seul peut-être Raymond Roussel avec ses Impressions d’Afrique ou encore plus Locus Solus, s’efforcent  de contourner, d’ignorer ce qui est une contrainte générale. Pourtant il n’y a là rien de vécu ni de réel. Car le présent n’existe pas, le présent n’est qu’un moment très bref et insaisassable du passé. Que nous le voulions ou non, nous vivons dans un passé immédiat et ignorons totalement ce qu’il en sera du futur même le plus proche. Le présent est une construction imparfaite d’une mémoire immédiate que nos réseaux de neurones bricolent et modifient sans cesse. Modifications qui, en s’éloignant créent une mémoire de plus en plus sujette à caution. Ce qu’essaie de faire Un Monde Incertain, c’est de mettre en scène l’inexactitude absolue de l’écriture par rapport à ce que nous nous sommes, culturellement et historiquement, persuadés que nous vivions. Aussi, d’une certaine façon, ce qui m’intéresse en Proust, c’est la mise à l’écart d’une logique parfaite des événements qu’il rapporte. Malheureusement, par le support qu’il a choisi, le roman, il contredit cette mise à l’écart, essayant de faire croire que chaque moment rapporté était tel qu’il est rapporté et ne pouvait pas être autrement.

29 janvier 2020

De Locmiquelic à Port-Louis

Aujourd’hui il a fait beau. Beau comme il peut faire beau en Bretagne : une espèce de lutte amicale permanente et imprévisible ente soleil et nuages, l’un triomphant parfois sur l’autre obligeant tantôt à se refermer dans la chaleur de sa parka, tantôt à mettre des lunettes de soleil pour se protéger d’une lumière blessante. Une lumière bretonne, marine, différente de celle du sud qui est un coup de projecteur permanent dans les yeux, une lumière presque inattendue, supportable-insupportable jouant au chat et à la souris avec le confort des yeux. J’ai donc décidé d’aller me promener et comme j’aime presque autant les batobus de Lorient que les vaporetti vénitiens, je suis d’abord allé prendre celui qui mène à Locmiquelic village dont le nom ne me disait rien, dont je ne savais rien mais dont, en regardant la carte, je me suis aperçu qu’à partir de là je pouvais rejoindre Port-Louis à pied et revenir en bateau jusqu’au port de pêche de Keroman pour, de là, regagner ensuite, toujours à pied l’appartement que j’occupe pour encore 7 jours. Dix kilomètres de marche environ car, bien entendu, n’ayant pas traversé la rade à la nage, je ne peux prendre en compte que les trajets pédestres. Mais parmi les nombreuses injonctions auxquelles, à partir d’un certain âge, nous sommes sans cesse soumis, n’y a-t-il pas celle de faire 10.000 pas par jour. J’ignore ce que cela représente et me contente de marcher dans une espèce de vacance méditative de l’esprit laissant toutes sortes de pensées aller-et-venir sans jamais vraiment en fixer une seule. Moments privilégiés où naissent souvent des intuitions créatives qu’il faudra, ensuite, actualiser, ou non. C’est selon. J’ai fait ce parcours, tantôt en suivant des fragments de chemins côtiers, tantôt sur de petites routes. Locmiquelic est une banlieue coquette, sûrement aisée de Lorient où l’on avance au milieu de petites villas, entourées de petits jardins, avec ou sans bâteau, et qui ont toutes l’air neuves. Ce n’était pas désagréable, mais ce n’était pas le plus agréable. Ce qu’avaient d’enchanteur ces deux heures de marche, ce sont les couleurs de la mer et du ciel, toujours changeantes, jamais uniformes, en fonction des mouvements incessants des nuages, d’un gris de velours profond à des bleus séraphiques, presque évanescents, se mêlant parfois d’un léger mauve, le ciel, la mer jouaient ainsi d’une palette de couleurs indescriptibles que mon ami le peintre Jean-Paul Jappé sait saisir avec précision. Tentation permanente de la photo tout en sachant qu’aucune d’entre elle ne me rendra le plaisir de ces enchaînements d’instantanés etsi fragiles présents et que le souvenir ne saura en garder que des traces infimes. Quant à la vidéo, c’est pire encore car les variations sont si infimes, si lentes qu’il faudrait accepter de créer un film immobile qui durerait des heures. Ce paysage, ainsi, nous excède et c’est de cet excès, de ces éblouissements  qu’il est possible d’extraire, à la fois, de la sérénité et des énergies intellectuelles nouvelles.

26 janvier 2020

La rade de Lorient comme prétexte

Je me suis toujours senti bien en Bretagne, non pour des questions d’origine car, en fait, je n’ai jamais eu de vrais contacts avec la famille de mon père mais parce que je trouve, malgré tout ce qu’on peut en dire, le climat parfait. Jamais trop chaud, jamais trop froid et, quel que soit le temps, un vent apportant les bienfaits de l’Atlantique. Aussi y ai-je fait de nombreux séjours : Quimperlé, Lorient, Saint-Malo, bien sûr, mais aussi les îles, Sein, Groix, Belle île avec une préférence pour l’isolement, presque l’enfermement complet de la première. J’adore marcher des heures, de préférence quand le temps est couvert et venteux le long des côtes et Lorient, avec sa rade immense est parfait pour cela d’autant qu’ont été aménagés de nombreux sentiers côtiers qui savent rester presque totalement à l’écart de toute circulation automobile. Quand il fait beau ils tournent bien sûr, par fragments, au parc d’attraction tant la foule de personnages de mon âge, dont je ne sais plus si c’est le troisième ou le quatrième y sont nombreux. Mais aujourd’hui avec un ciel bas, de petites bruines intermittentes et un vent respectable, j’y étais presque seul. J’ai donc fait à pied une partie de la rade, de Keroman le port de pêche à Larmor plage. Environ cinq kilomètres ce qui n’est pas un exploit mais depuis qu’Einstein m’a appris que le temps passait moins vite quand on se déplaçait rapidement, j’ai trouvé là une façon de moins vieillir. Bien sûr, si j’étais cohérent, suivant la même théorie, je devrais plutôt marcher en altitude comme dans ma Lozère natale, par exemple, ou plutôt même comme dans la station de ski des Orres où, un temps, j’avais un appartement à plus de 1500 m d’altitude. Mais il faut vieillir quand même et ce ne sont pas quelques dixièmes de secondes gagnées sur un temps théorique qui y changeront quelque chose même si, le savoir, est une satisfaction. Mon présent est déjà mon futur qui lui-même, à peine évoqué, est déjà mon passé. Quel que soit le temps gagné je marcherai toujours dans mon passé. C’est en partie ce qui rend les mémoires passionantes car, le seul fait de prendre la plume, ce que je fais de moins en moins, ou de m’installer devant mon clavier, le temps des mémoires commence. Écrire sur soi, c’est toujours écrire des mémoires et cette page devrait être lue ainsi. Insoluble de la situation humaine : dès que je suis, je ne suis plus. Pourtant c’est notre seule certitude car pour ce qui est du futur, rien de moins incertain. Arrivé à Larmor, comme à mon habitude, un petit bistrot. Il est rare, en Bretagne, que l’on n’en trouve pas toujours un d’où mon étonnement à Rosporden où rien ne bougeait dans la petite ville. J’aime l’atmosphère de ces petits bistros plein d’habitués qui discutent sans fin de la pêche, de bateaux ou des équipes sportives locales. Ce bruit de fond me réinsère dans l’humanité. Ce dont, amoureux de la solitude je n’ai pas vraiment besoin mais qui cependant me rassure : je suis encore vivant.

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25 janvier 2020

Trois longs tours à Auray

Je suis le dieu de la procrastination. Je procrastine à tout va, me roule dans la boue de la proscrastination, je ne sais jamais, non je ne sais pas, je n’arrive pas à savoir si je dois publier quelque chose sur Facebook ou si je ne dois pas le faire; non que je me fasse des illusions car sur ce point je crois être assez lucide, je sais que publier c’est comme ne pas publier, le résultat est, de toutes façons le même car personne, je dis bien personne, n’en a rien à faire de mes petits écrits. Qu’ils soient là, qu’ils n’y soient pas ne change en rien les insignifiances massives du monde qui métastasent cette espace malade. La question n’est donc pas là. Et je crois que si j’ai un défaut, c’est celui d’être clairvoyant, de ne pas me faire d’illusion ni sur l’ensemble du système dans lequel je me meus et m’émeus, ni sur l’absence abasolue de rôle que je ne peux plus avoir à y jouer. Non. Si je m’interroge sur cette procrastination, c’est parce qu’elle ne concerne que moi. Ai-je du plaisir, indépendamment de tout effet, à écrire pour Facebook ou n’en ai-je pas. C’est selon. Parfois j’éprouve une grande soif de mettre en mots ce que je vis, quelque chose comme un placebo contre l’inconsistance, l’oubli et la solitude et parfois, de façon tout aussi forte, résonne dans mon crâne l’impérieux “à quoi ça sert ?” et je sais que ça ne sert à rien, et je me dis que ça me sert quand même à moi, à continuer à être ce que je suis, et je me dis que ça vaut peut-être quand même le coup de ne pas laisser se rouiller les neurones, de les forcer à se bouger un peu dans le marigot du langage et je me dis qu’il faut que j’écrive, que je continue à écrire, que la génération automatique de texte, qui est quelque chose comme ma monture, n’est au fond qu’un cheval de Troie qui fait pénétrer en moi davantage encore de “à quoi ça sert”, davantage de “c’est inutile”… J’ai passé la journée à Auray. C’est un fait, je me suis comme souvent laissé prendre par un de mes démons majeurs, la confiance en moi qui m’empêche de me renseigner et me fait foncer tête baissée dans mes désirs sans garde fous car je sais que je me suis toujours arrangé dans ma vie de toute situation. J’ai pris le train à Lorient, aller-retour. Auray étant une petite ville, je m’étais fixé deux heures pour visiter la ville. Suffisant sans aucun doute. Sauf que… sauf que je ne savais par qu’il y avait quatre kilomètres entre la gare et la ville, qu’il n’y avait ni bus ni taxi. On sait que la marche ne me fait pas peur et je suis donc parti vers ce que, parce que je voyais un clocher émerger dans la brume, je pensais être le centre de la ville. Ce n’était que le quartier de la gare, un ensemble de rues vides et une église nulle dans lequel j’ai erré une bonne demi-heure. Le résultat a été que, quand je suis arrivé à Auray traversé au pas-de-course il fallait que je reparte aussitôt à la gare pour espérer avoir mon train. Dommage. Dans la brume notamment, Auray, le port surtout, est une petite ville qui ne manque pas de charmes et j’ai même aperçu deux librairies vendant des livres anciens mais, pas le temps, pas le temps… Je me suis consolé que j’avais quand même fait une dizaine de kilomètres de marche et que c’était toujours ça de pris. Il faudra cependant que j’y revienne, cette fois en prévoyant plus de temps. Voilà je l’ai écrit, j’ai réussi à l’écrire et je me dis aussitôt à quoi ça sert et pourquoi fais-tu un récit si rapide, pourquoi ne pas y consacrer plus de temps et pourquoi le mettre sur Facebook ? Et pourquoi pas ? Est-ce impudique de s’exposer ainsi ? En tous cas c’est pour moi, pour m’en souvenir, pour le temps qui passe. Est-ce une réponse satisfaisante ?

23 janvier 2020

Sur les terres des bonnets rouges

Le soleil a eu beaucoup de mal en milieu de journée à percer une brume tenace, le temps était assez froid mais rien qui n’empêche de bouger, au contraire. Après la session familiale, j’ai passé une nuit à Landerneau pour visiter les petites villes du centre Finistère un peu au hasard de ma circulation : Pleyben, Cast, Landerneau, Locronan…Landerneau est évidemment la plus vivante et la plus riche sur le plan patrimonial. Il y reste de nombreuses maisons anciennes et, à lui seul, le très impressionant pont Rohan sur l’Elorn vaut bien le détour. Il y a même un libraire de livres anciens chez lequel j’ai failli acheter une édition de Marot de 1702, mais, vérification faite sur mes données, je possède déjà bien mieux, l’édition complète originale de 1615. Ma bibliothèque commence à être si conséquente en ouvrages des 17 et 18 ème siècles que je ne me souviens pas de tous. J’ai ainsi acheté à Vannes, un exemplaire de Lesage du Diable Boîteux que je possède déjà, il est vrai dans une édition moins ancienne. Je pourrai toujours revendre l’autre ou… les comparer car il n’est pas rare de trouver des variantes d’une édition à l’autre. Il y a aussi à Landerneau la belle fondation Hélène et Édouard Leclerc qui en ce moment présente une superbe collection des œuvres de Velickovic. On y éprouve à la fois un sentiment de malaise et de séduction, plus encore que Bacon c’est un maître dans l’art de conférer une certaine attractivité, une certaine beauté même à la cruauté et à la souffrance. Personnellement il me met en mémoire certaines pages presque insoutenables de Sade dont Pasolini a si bien rendu l’impossible-possible dans son film Salo ou les Cent vingt Jours de Sodome. C’est une peinture qui met en évidence le vide, la solitude de l’homme et sa capacité à la fois de cruauté et de douleur. J’en suis sorti un peu bouleversé.
 
J’ai donc vagabondé, en voiture quand même, dans la campagne bretonne, évitant soigneusement de m’approcher de l’océan. Une envie de terre. Avec la brume qui emplissait tous les creux de la campagne, le paysage était magnifique tant les reliefs y recevait de profondeurs. Landerneau donc, puis Pleyben, puis Cast, tous lieux où je n’ai pas pu ne pas penser à Sébastien Balpe chef de la révolte des bonnets rouges et où, malgré le désert de ce village, je me sentais un peu en famille, des enclos paroissiaux, des calvaires et partout ces croix bretonnes dont les branches portent les personnages de la sainte trinité. J’ai visité les églises, ce que, bien qu’agnostique, je trouve toujours intéressant de faire parce que, souvent, elles renferment des trésors d’arts locaux, notamment tous ces saints bretons dans des représentations si naïves, si art brut. Avant de rejoindre Quimper, j’ai passé un peu plus d’une heures à Locronan, non seulement parce que c’est un village magnifique comme figé dans le seizième siècle, avec en plus une absence absolue de touristes en cette saison, mais parce que ce lieu me rappelle le lycéen, dont j’ai oublié le prénom, qui participait à la revue Impact 10 et qui se disait royaliste alors que notre revue était imprimée dans les locaux du parti communiste de Lorient à une époque où ce parti représentait beaucoup.
22 janvier 2020

Retour au cœur du Finistère

Par un soleil radieux, une température fraîche aiguisée par le vent, je me suis, aujourdh’hui en foncé au cœur du Finistère, au cœur de la Bretagne profonde à la recherche de mes racines ancestrales. Je savais, par des recherches généalogiques faites par d’autres Balpe que la première trace que l’on trouvait était un certain François Balpe, dont on n’a pas la date de naissance mais dont un fils, Sébastien, est né en 1639, et qui est mort en 1720, ce qui laisse une marge d’incertitude mais qui permet tout de même de se projeter vers le milieu du dix septième siècle. Il était meunier à Kergloff dans un moulin appartenant au marquis local, proche de Huelgoat et surtout de Plouyé bourg où remontent mes quelques souvenirs d’enfance. Je voulais voir toute cette région d’autant que j’avais de vagues souvenirs comme en attestaient quelques rares photos de famille que, après guerre — sur les photos je dois avoir quatre ou cinq ans — je m’étais trouvé dans la famille de mon père dans leur minuscule ferme du Ruzulliec, à deux kilomètres de Plouyé si j’en juge par une carte affichée dans cette ville. Mes souvenirs sont très vagues : un lit clos dans lequel je dormais et qui avait dû m’impressionner car dans ma Lozère natale ce genre de meubles n’existait pas et un cheval Pompon sur lequel on me faisait monter. Pour moi c’était un éléphant et si je m’asseyais dessus, je ne peux pas vraiment dire que je faisais du cheval. J’ai donc parcouru tous ces endroits de la région, avec des bourgs presque vides, me promenant cependant longuement dans le très impressionant chaos granitique où se perd l’étang de Huelgoat avant de mettre beaucoup de temps à trouver le Moulin Meur, le grand moulin, dont je savais par des recherches sur Internet qu’il existait encore, depuis plus de quatre cent ans, dans les environs de Kergloff. Je l’ai trouvé, il est en plein travaux mais encore bien solide. J’ai pu aussi mesurer à quel point la famille des Balpe avait peu bougé durant quatre cent ans car tous les lieux dits où ils ont laissé des traces : Le Ruzulliec, Plouyé, Kergloff, Huelgoat, Le Poullaouen où je me souviens aussi que nous étions allés pour un Pardon, sont dans un cercle dont le diamètre ne doit pas excéder 20 kilomètres. Ce fut un étrange tourisme car tous ces lieux n’ont rien de remarquable même si j’ai pris plaisir à traverser les monts d’Arrée qui, d’une certaine façon, me rappelaient la Lozère. Pas d’enchantement donc, simplement une forme de petite satisfaction intellectuelle : nous sommes issus de là, de cette terre rude, sans charme et, au cours du temps, quand mon père a rencontré ma mère, cela s’est fait dans une région tout aussi désolée dont les charmes restent secrets à qui n’y habite pas. Ce fut une promenade dans les déserts de la mémoire.

21 janvier 2020

Lorient ne manque pas de charmes (5)

Je dois, d’une certaine façon, faire amende honorable car mes premiers écrits ont pu donner une fausse impression sur Lorient. Il y a cinquante ans, quand j’enseignais aux gamins de Quimperlé, je venais souvent dans cette ville qui était suffisamment grande pour proposer des commerces corrects et où, de plus, le parti communiste mettait à ma disposition sa ronéo pour que le groupe de dix jeunes gens qui s’étaient rassemblés pour créer une revue de poésie — pour cette raison appelée Impact 10 — puissent l’imprimer. Il nous suffisait d’apporter notre papier. Il y avait là les peintres Jean-Paul Jappé, avec lequel je suis toujours ami, et Jean Pallarès. Parmi les écrivains dont je me souviens, le regretté Yves Landrein, publié plus tard chez Seghers, alors lycéen et qui fit plus tard une carrière d’éditeur avec ses éditions La Part Commune, un certain Poivre d’Arvor dont j’ai oublié le prénom, autre lycéen qui vivait alors à Locronan, moi-même bien sûr et quatre autres dont j’ai tout oublié (il me faudrait retrouver un exemplaire pour être plus précis mais… le seul que j’avais est à la BNF). C’était quand même une toute petite ville, agréable, sans plus et où il n’y avait alors pas grand-chose à faire même si, comparé à Quimperlé, c’était une capitale. Je m’y suis donc installé en connaissant bien ce qui m’attendait au point de vue météorologique en janvier et je ne craignais ni la pluie ni le vent ce qui m’a valu une première semaine de gros rhume. Pour le reste mes attentes étaient vides. Lorient aurait pu, comme tant de villes de province s’étioler, se refermer sur elle-même et rester dans une arrière-cour du monde. Il n’en est rien. À Lorient se sont ajoutées toutes les petites villes environantes ce qui forme aujourd’hui une agglomération de plus de 200.000 habitants. Et ça change tout. Grâce à un réseau de bus efficace, il est possible désormais d’aller en moins d’une demi-heure un peu partout dans cet ensemble ce qui rend la vie plutôt agréable car on peut désormais aller à la mer sans voiture et profiter de la grande variété des côtes même si, comme je l’ai déjà dit, l’inconvénient est de les avoir apprivoisées, d’en dénaturer la nature sauvage qui en faisait pour moi l’essentiel du charme. Mais Lorient s’est aussi tourné fortement vers la mer et j’aime particulièrement aller rôder dans les anciens territoires militaires comme l’ancienne base de sous-marins où le port de pêcheurs de Keroman aujourd’hui totalement accessibles. Bien sûr quand il fait un soleil d’été — et la lumière, à cause de la révervération océanique est ici particulièrement agressive — c’est encore mieux même s’il ne fait pas chaud et que le vent rappelle constamment qu’on n’est pas sur la côte d’azur. Mais j’ai déjà dit que je n’avais peur ni de la pluie qui fouette le visage, ni du vent froid qui font tous deux partie du charme de la Bretagne. Bref cette ville est devenue agréable à vivre et je ne m’y ennuie pas plus qu’à Stockholm, Vienne, Séville ou Rome. Pour le reste j’avoue que je ne suis sensible ni au cinéma, ni au théâtre (pourquoi n’ai-je jamais aimé le théâtre ?), ni au stade de foot. Ils sont là. semble-t-il ils fonctionnent. Ne vous attendez pas cependant à une vie nocturne échevelée. Il y a des bars… Mais ils n’y seraient pas, en ce qui me concerne, ce serait pareil. 

14 janvier 2020

Photographier (Lorient 4)

Aujourd’hui, temps breton hivernal presque idéal : pluie continue et vent brumisateur qui tonifie le visage. Autant dire que le parapluie est un accessoire inutile et que l’on est rapidement trempé. Je ne trouve pas ça désagréable mais j’ai quand même décidé d’en profiter, mon rhume étant en voie d’extinction pour aller passer l’après-midi à la piscine. Au moins, mouillé pour mouillé…

 

Depuis que j’ai en 2013, suite au décés de ma femme, de littéralement aller voir ailleurs, foutre le camp, puis d’en tenir un “journal”, suite de réflexions quotidiennes souvent superficielles mais qui me servent de jalons et depuis que j’ai décidé de mener de front un journal photographique, pas un reportage objectif mais plutôt, si l’on veut, un reportage sensuel où je collecte des coups d’œil quotidiens au hasard des rencontres et des plaisirs visuels plutôt que des coups de cœur, depuis ce temps-là, nombreux sont mes amis qui m’ont fait remarquer que mes photos manquaient d’humain. En effet, je photographie rarement des personnes ou, plutôt même, je fais soigneusement attention de ne jamais prendre quelqu’un dans mon objectif.

Plusieurs raisons à cela. Une anecdote expliquera la première. Il y a deux jours, à Lomener, j’étais dans un café et j’avais posé mon appareil photo, objectif tourné vers la salle, bien en évidence vers la salle. Je discutais avec une vieille dame, rencontre aléatoire comme il est facile d’en faire en Bretagne où les gens se parlent volontiers entre inconnus. Alors la patronne du bistro, qui avait l’air un peu gênée, vint me rappeler “le droit à l’image”, expression bien technique pour le lieu et me dire qu’un de ses clients se plaignait que je le photographiais. Je lui prouvais vite le contraire. Ceci pour dire que dès que l’on pointe son appareil dans la direction d’une personne ou d’un groupe que l’on n’a parfois même pas remarqué, des regards plus ou moins agressifs vous font vite comprendre que ce que vous faites n’est pas bien. Que craignent-ils pourtant ? J’ai même été une fois, à Montpellier, physiquement agressé dans une petite rue par un homme très énervé  exigeeant que je détruise tous mes clichés alors que, photographiant une église, je ne l’avais même pas vu. Le thème de la surveillance généralisée est-il à ce point ancré dans les cerveaux actuels que chacun se sente sous contrôle. Quand je me souviens des nombreuses photos de personnages que je faisais autrefois et pour lesquelles j’étais souvent remercié d’un sourire… Je comprends bien que l’on n’aime pas être exposé de façon négative, mais un groupe passant dans un pays sauvage ? On ne peut plus que prendre en photo des personnages lointains ou dans un contrejour anonymisant. Du coup, je m’abstiens soigneusement même si cel me prive, souvent, d’images intéressantes d’un point de vue plastique. Rien ne m’empêche pourtant de décrire de façon assez réaliste pour que la personne décrite sois reconnaissable un être de rencontre. Le texte ne porte pas les mêmes suspicions que l’image.

La seconde raison qui n’est pour moi pas moins importante, c’est que j’aime la solitude. Un peu trop peut-être selon mes amis et mes proches et quoi de mieux que de vastes paysages vides pour en donner le sentiment. Ainsi, à côté de mes photos vides d’humains, juste à côté, mais hors-cadre pouvaient se trouver des foules que j’ai, très soigneusement éliminées. Mes photos sont des photos sentimentales. Mes villes sont vides, mes campagnes sont vides, mes paysages marins, mes montagnes… sont, pour la plupart, vides. L’impression que je veux communiquer est que j’y suis seul et j’aimerais que ceux qui y jettent un œil se sentent, à leur tour, dans cette même solitude car il est si rare, de nos jours, de se trouver seul, même dans les paysages d’accès difficile.

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